Dorine Ekwè
YAOUNDE, 25 juin (IPS) - Dans la ville balnéaire de Kribi située dans la région sud du Cameroun, à 292 kilomètres de Yaoundé, la capitale, les touristes et autres vacanciers se bousculent, en ce début des vacances, sur les plages qui s’étendent à perte de vue.
Dans cette ambiance dédiée au divertissement, les femmes prostituées font de belles affaires. Dans les lieux surchauffés, elles arpentent les ruelles, à la recherche de potentiels clients.
Interrogées sur les risques sanitaires qu’elles encourent dans l’exercice de leur profession, deux de ces travailleuses du sexe farfouillent avec assurance leurs sacs à mains et présentent, triomphantes, leurs paquets de préservatifs féminins.
«C’est notre outil de travail», déclare la plus jeune qui se fait appeler Lucie, 23 ans environ. Plus âgée, Aurélie, une jeune dame d’une trentaine d’années, au regard vif, explique à IPS: «Avant, on laissait partir ceux qui insistaient pour qu’on ait des rapports sans condom. Cela nous minait car certaines nuits, ce n’était que ce type de clients que nous avions».
«Parfois, nous étions tentées de céder quelle que soit la conséquence. Avec le préservatif féminin, la question est vite réglée: on le porte sans que les clients s’en aperçoivent», ajoute-t-elle.
Ce témoignage des deux prostituées rassure les responsables de l’Association camerounaise pour le marketing social (ACMS). Pour Auguste Kpognon, directeur exécutif de l’ACMS, cette percée de l’utilisation du préservatif féminin par les populations à risque «est à encourager et nous laisse penser que d’ici-là, nous pourrons mieux circonscrire l’épidémie de VIH/SIDA».
Selon l’Enquête démographique et de santé réalisée en 2011 au Cameroun, la prévalence du VIH est de 4,3 pour cent dans la population générale âgée de 15 à 49 ans. Dans cet échantillon, la prévalence chez les femmes est de 5,6 pour cent contre 2,9 pour cent chez les hommes, selon le Comité national de lutte contre le SIDA (CNLS).
Pour freiner l’évolution de cette maladie, le préservatif féminin a été introduit au Cameroun en 2009 par le ministère de la Santé publique.
Cependant, bien que l’enthousiasme des prostituées de Kribi réconforte les acteurs de la lutte contre la pandémie au Cameroun, la percée de cet outil de prévention du VIH-SIDA et des infections sexuellement transmissibles est difficile. Les femmes se plaignent en effet de sa rigidité.
Ce sont les femmes prostituées d’autres villes du pays et les autres femmes (étudiantes, employées, cadres) qui préfèrent utiliser le préservatif masculin qui semble plus facile à manipuler, selon elles.
«Je l’ai essayé une fois en 2012 et je me suis découragée. C’était difficile à mettre et j’étais fort gênée face à mon copain. Finalement, c’est à lui d’enfiler un préservatif (masculin) avant le rapport sexuel», raconte, confuse, Hildegarde, une étudiante de 23 ans inscrite en sociologie à l’Université de Yaoundé I.
Si Marie Noëlle, 38 ans, cadre dans une entreprise, n’a pas été heureuse pour son premier contact avec le préservatif féminin, elle en a fait aujourd’hui son outil de prédilection. «En 2009, lorsqu’on lançait ce produit, j’étais une jeune étudiante. Je l’avais essayé avec mon petit ami de l’époque, mais ça ne s’est pas très bien passé. Je le trouvais bruyant et il fallait à chaque fois que je le rattrape», rapporte-t-elle à IPS.
Toutefois, elle ajoute: «Trois ans plus tard, j’ai rencontré quelqu’un d’autre et nous avons pris la résolution d’utiliser ce mode de contraception, nous l’avons finalement adopté... Et je peux mettre mon préservatif bien avant l’acte sexuel».
Une étude réalisée par l’ACMS montre que son utilisation est passée de cinq pour cent en 2009 à huit pour cent en 2012 au Cameroun.
Le chargé de programme au Cameroun de l’organisation non gouvernementale (ONG) 'Femmes santé et développement en Afrique subsaharienne', Urbain Abega Akongo, affirme qu’il est important que chaque femme puisse choisir librement entre l’utilisation ou non du préservatif.
«c’est précisément pour aider les femmes à prendre la décision d’avoir ou non des rapports non protégés que le plaidoyer autour du préservatif féminin est toujours mené» dans le pays, souligne-t-il à IPS.
Pour cette raison, le ministre camerounais de la Santé publique, André Mama Fouda, a invité, en avril 2013, les femmes à «prendre enfin les choses en main». Selon le ministre, «le VIH/SIDA est un problème de santé publique au Cameroun. Le préservatif féminin se présente comme un moyen efficace pour la réduction de la prévalence de cette pandémie».
«De plus, ce gadget a également un rôle à jouer dans la limitation des grossesses non-désirées, première cause des avortements clandestins dont les complications exposent la femme aux infections, à la stérilité et aux décès», ajoute Mama Fouda.
Pour mieux aider les femmes à prendre leur santé de la reproduction en charge, le prix d’un préservatif féminin, qui était de 100 francs CFA (environ 0,2 dollar) l’unité, est resté le même pour un pack de trois.
Les ONG estiment cependant que si la question du coût a été quasiment résolue, le gouvernement doit également faire face au problème de la disponibilité de ce préservatif. Sa promotion reste encore l’affaire de quelques ONG qui essaient de le faire avec des moyens souvent limités. (FIN/2013)