Rapport Afrique N°206
23 Jul 2013
SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS
Les Nations unies, l’Union africaine, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), la Conférence internationale de la région des Grands Lacs (CIRGL) et onze pays de la région promeuvent un règlement diplomatique et militaire du problème de l’Est du Congo à travers l’accord-cadre signé en février 2013 et le déploiement d’une brigade d’intervention contre les groupes armés. Cependant, comme le montre l’anatomie d’un conflit local qui oppose deux communautés du Sud Kivu, la conflictualité dans l’Est du Congo s’inscrit dans une compétition foncière et économique locale entre communautés. Par conséquent, pour être efficace, la tentative actuelle de règlement du problème de l’Est du Congo devrait comporter une approche locale de la résolution de conflit. Les acteurs qui œuvrent pour la paix dans les Kivus devraient acquérir une connaissance fine de la géopolitique locale et concevoir des stratégies sur mesure pour agir sur les causes de la violence et améliorer les relations intercommunautaires par le bas.
Dans un climat d’impunité et de méfiance, l’assassinat le 25 avril 2012 du chef de la collectivité de la plaine de la Ruzizi, située aux confins du Sud Kivu et du Burundi, a relancé les violences entre les communautés barundi et bafuliro qui ont duré jusqu’à la fin de l’année. En 2013, en dépit des tentatives de réconciliation du gouvernement central et des Nations unies, les tensions demeurent.
Depuis l’époque coloniale, cette zone frontalière est un territoire problématique : Bafuliro et Barundi s’y affrontent pour le contrôle des terres de la plaine de la Ruzizi et du pouvoir local incarné par les chefs traditionnels. Cette compétition, qui renvoie à l’histoire du peuplement de la plaine et au principe d’autochtonie, met aux prises les élites locales des deux communautés. Les tensions sont exacerbées par le manque de développement socioéconomique, la mauvaise gestion des affaires foncières et la crise de la gouvernance locale due à la faiblesse de l’administration. Dans le système politique et administratif congolais, les chefs traditionnels jouent un rôle prépondérant au lieu d’être des pouvoirs subsidiaires. Perçus comme des agents d’influence en période électorale, ils s’inscrivent dans des réseaux de patronage politique et ont des relais dans les instances provinciales et nationales.
Malgré les efforts engagés pour construire l’Etat congolais depuis près d’une décennie, ce dernier reste ineffectif dans les zones rurales. Profitant de ce vide d’Etat, les chefs coutumiers, dont le rôle a été reconnu par la Constitution mais pas encore totalement formalisé, dominent cet espace. Dans ce système de gouvernance à deux vitesses, les autorités coutumières profitent de leur position privilégiée entre les pouvoirs publics et les communautés pour instrumentaliser les interventions de l’Etat et des acteurs internationaux à des fins personnelles. Ils pérennisent ainsi les conflits intercommunautaires, d’autant plus que les antagonismes entre communautés trouvent un écho aussi bien auprès de la population qu’au sein de l’appareil d’Etat et des politiciens provinciaux et nationaux.
En 2012, face à l’ampleur des tensions, la Mission des Nations unies au Congo (Monusco) et les autorités locales, provinciales et nationales sont intervenues. Comme l’ont démontré les affrontements qui ont eu lieu après la signature d’un code de bonne conduite entre communautés en septembre 2012, ces médiations n’ont pu ni instaurer un dialogue intercommunautaire ni traiter les causes profondes du contentieux entre Bafuliro et Barundi. Du fait du décès du chef des Bafuliro, mort de cause naturelle, le conflit est maintenant en sommeil, mais il n’est pas résolu et peut reprendre au moindre incident.
Cet échec des médiations a mis en évidence la nécessité d’une stratégie locale de réponse aux crises locales qui passe par un encadrement des pouvoirs coutumiers, l’impartialité et le bon fonctionnement des institutions de gestion foncière, la réduction de la violence armée dans la plaine et la restauration du dialogue intercommunautaire. Certaines de ces mesures seront plus difficiles à mettre en œuvre que d’autres, mais sans une compréhension de la géopolitique locale, la relance du processus de paix par les Nations unies risque de s’attaquer aux symptômes plutôt qu’aux causes de la conflictualité dans les Kivus et d’avoir un impact limité. Alors que jusqu’à présent les initiatives de stabilisation de l’Est du Congo ont consisté à mettre en œuvre une option militaire contre les groupes armés et rétablir les institutions de l’Etat, ce rapport, qui est le premier d’une série qui s’intéresse à la géopolitique locale des conflits de l’Est du Congo, propose d’adopter également une approche par le bas visant à améliorer les relations intercommunautaires et rétablir la paix civile au niveau local.
RECOMMANDATIONS
Pour mieux encadrer le pouvoir coutumier
Au gouvernement de la RDC et aux autorités locales :
- Diffuser les textes portant sur l’organisation des pouvoirs des chefs coutumiers auprès des populations et des autorités coutumières, et former les chefs coutumiers afin de leur permettre d’assurer leurs fonctions judiciaires et administratives dans le cadre de la loi.
Pour améliorer la gestion du foncier
Au gouvernement de la RDC et aux autorités locales :
Elaborer un code de bonne conduite des chefs coutumiers en matière de gestion foncière pour le territoire d’Uvira, dans l’attente de la réforme foncière qui devrait redéfinir le rôle des autorités traditionnelles dans ce domaine.
Doter les institutions de gestion foncière (le tribunal de paix et l’administration cadastrale) des moyens nécessaires à leur bon fonctionnement ; permettre une meilleure représentation de la diversité ethnique du territoire d’Uvira au sein de celles-ci ; et implanter un tribunal de grande instance à Uvira pour rapprocher la justice foncière du justiciable et accélérer les procédures.
Aux Nations unies et aux bailleurs de fonds :
Créer, sous l’égide de l’organisation des Nations unies pour l’habitat (ONU-Habitat), un groupe foncier dans le territoire d’Uvira qui analysera le contexte foncier pour identifier les sources de contentieux et définir une stratégie locale de résolution des querelles foncières.
Accroitre la présence des Nations unies et leur coordination à Uvira en déployant du personnel du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de l’ONU-Habitat, qui apportera au bureau de la Monusco à Uvira des compétences qui font défaut en matière de résolution des conflits fonciers et de développement agricole.
Pour restaurer le dialogue entre les communautés
Aux Nations unies et aux bailleurs de fonds :
Conduire une étude sur les associations locales engagées dans la résolution des conflits pour identifier les partenaires locaux impartiaux et renforcer leurs capacités de médiation.
Conduire une étude d’identification des acteurs du conflit afin d’organiser des actions réellement inclusives de promotion de la paix et de dialogue intercommunautaire.
Disséminer, à travers le cadre de concertation intercommunautaire, l’acte d’engagement signé par les chefs des communautés barundi et bafuliro, organiser des rencontres intercommunautaires et promouvoir des projets de développement commun.
Pour réduire la violence armée
Au gouvernement de la RDC et aux autorités locales :
- Lancer des enquêtes pour identifier les donneurs d’ordre des groupes armés, arrêter et mener l’instruction et le procès de ces donneurs d’ordre et des responsables des affrontements intercommunautaires hors de la province du Sud Kivu.
Au gouvernement de la RDC, aux Nations unies et aux bailleurs de fonds :
Produire, grâce à un travail conjoint des officiers du mécanisme de vérification conjoint de la frontière déployés par la CIRGL et du groupe d’experts des Nations unies, une étude précise des réseaux économiques et logistiques des groupes armés qui permettra de définir la stratégie adéquate pour saper leur base économique et logistique.
Mettre en œuvre un programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) ouvert aux combattants congolais dans le territoire d’Uvira, afin de permettre la réinsertion socioéconomique et communautaire d’une très large majorité de combattants.
Déployer des forces de sécurité congolaises qui ne sont pas originaires du Sud Kivu et des Casques bleus qui doivent faire de la lutte contre la contrebande à la frontière une priorité.
Formaliser le commerce des minerais et dédier une partie des recettes de l’exploitation des carrés miniers à des programmes de développement au profit des anciens combattants et des populations.
Nairobi/Bruxelles, 23 juillet 2013